mercredi 18 novembre 2015
Exceptionnel candélabre en argent
provenant de la Chancellerie d ’Orléans
Paris 1783
Poinçon du Maître Orfèvre Jean-Ange Loque (?-ap.1831) Paris 1782-1783.
Signé sur la base Loque Fecit.
Dans son étui à âme de bois recouverte de maroquin rouge frappé de lis et de motifs dorés au petit fer.
Inscription effacée et plusieurs étiquettes sur l’écrin en cuir : Etat N°5 Girandoles à 4 branches avec bobèches Pesant 3… 39… et N°121 1 flambeau d’argent à 4 lumières. Etui de maroquin rouge.
Une plaque en cuivre avec le numéro 3 découpé, appliquée sur la base de l’écrin et l’inscription Grande Chancellerie en noir sur le fût de celui-ci.
Argent ciselé, gravé.
Hauteur fermée : 47,3 cm – Hauteur en position maximale : 56,5 cm – Poids brut : 3 500 g
Provenance :
Hôtel de Marc-René de Voyer de Paulmy d’Argenson, marquis de Voyer (1722-1782), dit La Chancellerie d’Orléans, rue des Bons-Enfants, à Paris.
Ancienne collection Camille Plantevignes.
Bibliographie :
Reproduits dans le catalogue de l’exposition Three Centuries of French Domestic Silver Its makers and its marks, Faith Dennis, Metropolitan Museum of Art, New-York 1960, n°231, p. 162.
Reposant sur une base circulaire moulurée et soulignée d’une frise de palmettes d’acanthe, notre candélabre présente un ombilic alternant des feuilles et des chutes aussi d’acanthe, ceint en sa partie supérieure par un enfilement de perles et surmonté par un nœud composé de registres successifs de feuilles lancéolées, d’un tore de laurier et d’un collier torsadé, alternant avec des parties lisses. Le fût, cannelé et rudenté d’asperges, comporte un chapiteau d’ordre ionique dont l’échine est rythmée par des feuilles d’eau et l’abaque à volutes et oves est ponctuée sur chaque face par des fleurons d’acanthe. Deux cartouches ovales suspendus à un nœud de rubans accroché à une patère ornent la partie supérieure du fût et sont réunis par des chutes de lauriers disposées en guirlandes. Une ample bobèche décorée de feuilles lancéolées alternant avec doubles fleurons d’acanthe et soulignée par un motif torsadé, supporte quatre binets cannelés et rudentés d’acanthe, eux aussi ornés de motifs de perles enfilées et de torsades, disposés autour d’un élément central monté sur un piédouche dont le corps torsadé, souligné à la base de palmettes d’acanthe, rappelle la forme d’une pomme de pin. Un système de poussoir à ressort permet de régler la hauteur de l’éclairage à la demande.
Le candélabre conserve son étui dont l’âme de bois est recouverte en maroquin rouge parsemé de fleurs de lis et souligné de motifs au petit fer, le tout doré. Muni de trois verrous métalliques, l’étui présente sur la base une étiquette de laiton portant le chiffre 3 découpé.
Ainsi que l’inscription figurant sur l’écrin l’atteste, notre candélabre provient de la Chancellerie d’Orléans, appellation donnée à l’hôtel d’Argenson situé à Paris, rue des Bons-Enfants, à l’emplacement des actuels n°19 et n°10, rue de Valois1, à cause de la charge de chancelier du duc d’Orléans exercée successivement par Marc-Pierre de Voyer de Paulmy, comte d’Argenson (1696-1764), puis par son fils, Marc-René, marquis de Voyer (1722-1782) entre 1723 et 1782. Elevée par l’architecte Germain Boffrand vers 1704-1705, à l’emplacement de l’ancien hôtel de la Roche-Guyon, et ouvrant sur les jardins du Palais Royal, dont Philippe d’Orléans, futur Régent du royaume devint propriétaire en 1702, la nue-propriété de la nouvelle bâtisse fut cédée par ce dernier à sa maîtresse, Marie-Louise-Madeleine-Victoire Lebel de La Boissière de Séry, comtesse d’Argenton, qui l’occupa jusqu’à sa disgrâce, en 1710. Cédé l’année suivante à la veuve du prince de Montauban, l’hôtel fut racheté par le Régent en 1720 et échut à son fils, Louis Ier d’Orléans « le Pieux » (1703-1752), qui en céda l’usufruit en 1725, à son chancelier, chef du conseil et surintendant de ses finances, Marc-Pierre de Voyer de Paulmy, comte d’Argenson. A la mort de Louis Ier d’Orléans, son fils, Louis-Philippe, dit « le Gros » (1725-1785), rendit le 23 juin 1752 l’usufruit de l’hôtel à Marc-René de Voyer de Paumly d’Argenson, marquis de Voyer, qui héritait aussi la charge de chancelier du duc d’Orléans. Conservé dans la famille Voyer de Paulmy jusqu’en 1784, lorsqu’il fut repris par les Orléans, l’hôtel fut séparé alors des jardins du Palais Royal par l’ouverture de la rue de Valois. Vendu à la Révolution comme bien national, l’hôtel fut surélevé d’un étage au XIXe siècle, puis démoli en 1923, suite à un projet d’extension des locaux la Banque de France. Les décors, déposés par les soins de la Banque de France, nouvelle propriétaire des lieux, furent entreposés à Asnières, mais le projet de leur remontage de l’architecte Alphonse Defrasse fut brutalement arrêté par la crise de 1929, puis par la Seconde Guerre Mondiale.
Grand collectionneur d’art et mécène, le marquis de Voyer décida de mettre son hôtel à la nouvelle mode, qui était alors au goût grec, et confia les travaux à l’architecte Charles de Wailly (1730-1798), qui avait déjà donné en 1762 le modèle pour la colonne en porphyre et marbre blanc, entourée de termes en bronze par Auguste et Pajou2 pour l’ancienne galerie de cette demeure. A partir de 1763, Wailly remania le vestibule et la salle à manger, puis poursuivit avec les travaux du grand salon (1765-1769), de la petite salle à manger (1767-1769), transformés les deux à nouveau, respectivement en 1771 et 1772. Suivirent les décors de la chambre de la marquise de Voyer réalisés entre 1767 et 1770 dont les dorures furent terminées en 1771-1772. La transformation des intérieurs et des façades de l’hôtel était terminée en 1774, lorsque William Chambers en dessina quelques relevés, lors de son voyage à Paris3 (fig. a-b).
Sous la conduite de l’architecte Wailly, les meilleurs artistes de l’époque œuvrèrent pour la réalisation des nouveaux décors inspirés par le retour à l’Antique pour cet hôtel : les peintres Jean-Jacques Lagrenée le Jeune et Louis-Jacques Durameau4, le sculpteur Augustin Pajou, le bronzier Pierre Gouthière, les peintres décorateurs Bellangé, Guilliet et Deleuze, le menuisier Matthieu Bauve ou Debauve, etc.
Hélas, alors que l’inventaire après décès du marquis de Voyer du 5 octobre 17825 n’est pas accessible actuellement aux Archives nationales, celui de sa veuve, Jeanne-Marie-Constance de Mailly, dressé le 23 septembre 1783, ne consigne au chapitre de l’argenterie que « deux girandoles à trois branches et quatre flambeaux le tout d’argent poinçon de Paris pesant ensemble trente-cinq marcs une once deux gros, prisés à juste valeur et sans crue […] 1761 livres 18 sols 2 deniers6» . On se souvient qu’en 1784, l’hôtel d’Argenson retournait dans l’apanage des Orléans.
Cependant, l’inventaire après décès de Louis-Philippe d’Orléans, du 29 novembre 17857, ne consigne non plus la présence d’un luminaire en argent pouvant correspondre à l’exemplaire conservé. En revanche, sous le numéro 1831 sont répertoriées « douze girandolles ou candélabres à quatre lumières en cuivre argenté porté au mat avec douze coffrets ferrés et garnis en dedans de peau jaune par compartiments, prisés deux mille trois cent livres, cy 2 300 lt », dont, hormis les matériaux, la description ne manque pas d’évoquer notre candélabre.
Si l’activité de l’orfèvre Jean-Ange-Joseph Loque est mieux connue pour le XIXe siècle, l’histoire voulut nous faire parvenir son portrait gravé au XVIIIe siècle8, lorsqu’il était mentionné en 1792, rue de la Juiverie9, ainsi qu’une étiquette de son commerce10 à l’enseigne Au Ciboire d’Or, situé quai Le Pelletier, au numéro 42, datant des années 1806, lorsqu’il avait réorienté sa production essentiellement vers la vaisselle d’église, qu’il continua à fabriquer sous la Restauration et dont un nombre important de pièces est conservé (fig. c-d). Plus tard, entre 1827 et 1829, il participa à la campagne de remise en état des gemmes de la Couronne er réalisa pour le Louvre les pieds en argent doré de trois coupes, dont deux en sardoine et une en jaspe11.
1 Arnaud de Maurepas, Antoine Boulant, Les Ministres et leurs ministères du Siècle des Lumières 1715-1789. Etude et Dictionnaire, Paris, Christian/JAS, 1996, p. 190.
2 Londres, Wallace Collection, inv. F291.
3 Monique Mosser, Daiel Rabreau, Charles de Wailly peintre architecte dans l’Europe des Lumières, Paris, Caisse nationale des Monuments historiques et des Sites, 1979, p. 44-45 ; voir aussi Noël Francoeur, L’hôtel de la chancellerie d’Orléans, ancien hôtel d’Argenson, du Palais-Royal au Marais, Paris, 1984.
4 Anne Leclair, « Les plafonds peints de l’hôtel d’Argenson : commande d’un amateur parisien (1767-1773), Gazette des Beaux-Arts, t. CXL, novembre 2002, p. 273-306.
5 Arch. nat., Min. cent., CXV, 930.
6 Arch. nat., Min. cent., CXV, 935.
7 Arch. nat., X1A 9181.
8 Paris, B.n.F., dépt. des Estampes et de la Photographie, coll. De Vinck, Réserve QB-370 (7)-FT 4.
9 Henry Nocq, Le Poinçon de Paris. Répertoire des maîtres-orfèvres de la juridiction de Paris depuis le Moyen-âge jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, vol. 3, Paris, 1928, p. 160-161.
10 Waddesdon. The Rothschild Collection, inv. 3686.3.61.133.
11 Inv. MR 125 ; MR 120 ; MR 184, voir Daniel Alcouffe, Les Gemmes de la Couronne, Paris, RMN, p. 24 et cat. nos 21, 94 et 185.