mercredi 18 novembre 2015
Bureau livré en 1685 pour Louis XIV provenant du Petit Cabinet du roi à Versailles,
par Alexandre-Jean Oppenordt, ébéniste du roi.
Chêne, bois résineux, placage d’ébène et de palissandre de Rio, marqueterie en seconde partie de laiton et d’écaille rouge gravée.
Hauteur : 92 cm – Largeur : 101 cm – Profondeur : 54,5 cm
Modifications.
Provenance :
Louis XIV au château de Versailles en 1685.
Vendu par l’administration du Garde Meuble de la Couronne, le 12 juillet 1751, à Centenier, marchand, rue de la Verrerie à Paris.
Ferdinand James Anselm von Rothschild, baron de Rothschild (1839-1898), qui l’offrit à Constance Gwladys Robinson, marquise de Ripon (1859-1917), puis sa fille Gladys Mary Juliet Lowther, Lady Duff (1881-1965).
Vente Sotheby’s, Londres, 12 juillet 1963, n°163.
Ce bureau transformé à deux rangs de tiroirs disposés dans les caissons latéraux et dans le renforcement médian, présente un plateau décoré d’un ample motif centré autour du monogramme à deux L entrelacés composés de palmes, timbré par une couronne royale surmontée par un soleil flanqué de guirlandes et chutes à fleurons feuillagés. En dessous du monogramme royal, les branches latérales d’une petite fleur de lis se prolongent avec des volutes qui délimitent la réserve centrale ; celle-ci est flanquée en largeur par deux lyres d’Apollon, tandis que les écoinçons du plateau renferment des lis également monogrammés. Le chiffre du roi est omniprésent dans la marqueterie du bureau : il entoure les entrées de serrure sur les deux tiroirs des corps latéraux et sur ceux du caisson médian ; il forme également le motif central des grands panneaux des côtés dont les écoinçons sont eux-aussi fleurdelisés. L’abattant laisse découvrir deux rangées de trois tiroirs, surmontées par des niches ouvertes et disposées de part et d’autre d’un caisson médian à une tablette. A l’intérieur, le bureau ainsi que le cadre de l’abattant garni d’un maroquin rouge postérieurement sont plaqués en bois de rapport. Le bureau repose sur deux groupes de quatre pieds en gaine cannelée, à tailloirs et bases en bronze doré, dont ceux aux extrémités ont été munis de roulettes et les autres finissent par leurs petites toupies en bronze, réunis par deux entretoises sinueuses à pièce centrale circulaire, recouvertes de motifs de rinceaux et de rosaces marquetés.
Ainsi que son pendant en première partie, conservé au Metropolitan Museum de New York (fig. 1-2), notre bureau, même si transformé, constitue l’une des deux seules pièces de mobilier connues actuellement, qui furent réalisées indubitablement par Alexandre-Jean Oppenordt (v.1639-1715), ébéniste ordinaire du roi, lequel, avec André-Charles Boulle, figurent parmi les plus éminents artistes décorateurs du bois du règne de Louis XIV.
Commandés par les Bâtiments du roi avant juin 1685 et payés le 25 juillet de la même année sur les comptes de cette administration, où on peut lire « A Jean Oppenor, ébéniste, pour compartimens faits aux deux bureaux du petit cabinet de S.M, 240 lt », les meubles furent aussitôt envoyés à Versailles pour le Cabinet où le roi écrit. Leur exécution devait être déjà, parachevée le 24 juin 1685, car à cette date le doreur Robillard avait été payé 61 livres par les Bâtiments du roi « pour la dorure qu’il a faite aux serrures » des mêmes bureaux.
Leur historique est connu depuis 1986, grâce à l’étude de J.-N. Ronfort. Les bureaux, qui n’avaient pas été inscrits dans l’Inventaire général des meubles de la Couronne de 1705, figurent sous le numéro 561 dans celui de 1729 : « Deux bureaux de marqueterie d’écaille de tortue et de cuivre representans au milieu les chiffres du Roy couronnés et surmontés d’un soleil, et à chaque coin une grande fleurs de lis, aiant pardevant neuf tiroirs fermans à clef portés sur huit pilliers en gaine de même marqueterie à bazes et chapiteaux de cuivre doré. Long chacun de trente neuf pouces [105,57 cm] sur vingt deux de large [59,55 cm] et vingt neuf [78,50 cm] de haut, avec leurs tapis de maroquin rouge doublés de serge et garnis de molet d’or ».
Faisant auparavant fonction de cabinet de garde-robe, le Petit cabinet, situé derrière la Grande galerie du château de Versailles, entre le Cabinet des Termes et un autre cabinet exigu où se trouvait la chaise, communiquait aussi avec l’escalier demi-circulaire, qui permettait la circulation privée de l’appartement du roi (fig. 3).
De forme octogone, il était éclairé par une croisée sur la Cour du roi et comportait une cheminée dans l’une des niches formant les pans coupés, au nord-ouest (fig. 4). Aménagé en Cabinet où le roi écrit vers 1683, il allait être remanié en 1692, pour disparaître définitivement sous le règne de Louis XV.
C’est dans cette pièce que notre bureau ainsi que son pendant furent installés dans les niches latérales, vraisemblablement de part et d’autre de la porte de communication avec le Cabinet des Termes. Considérés démodés sous le règne de Louis XV, comme la plupart des meubles de son bisaïeul, ils furent soldés par l’administration du Garde Meuble de la Couronne, qui organisa plusieurs ventes des « Meubles du Roy », dont celle du 12 juillet 1751 consigne sous le n°421, le bureau en première partie, aujourd’hui au Metropolitan Museum de New York, qui fut acheté par le marchand ébéniste Gilles Joubert pour 40 livres, et sous le n°422, notre bureau : « Item, Nous avons Exposé en vente un autre pareil bureau de marqueterie à neuf tiroirs faisant partie de l’article cent quatre vingt quinze dudit Etat, au Sieur Centenier, demeurant rue de la Verrerie, 40 lt ». Comme à l’accoutumé à l’époque, les meubles marquetés en contrepartie étaient présentés lors des enchères à la suite de ceux en première partie.
Ces bureaux correspondent au modèle déjà classique à l’époque de leur fabrication, dit « brisé », car le plateau articulé pouvait s’ouvrir en deux parties. Même si le paiement des Bâtiments ne mentionnait que des panneaux marquetés, il faut attribuer à Oppenordt la conception et l’entière réalisation des bureaux. A une exception près : le plateau avait été certainement exécuté d’après une composition élaborée par Jean Ier Berain, dessinateur de la Chambre du roi ; d’où son
aspect plus flamboyant, foisonnant de rinceaux et de jeux de volutes entrelacées qui forment une grande réserve centrale, d’un aspect bien individualisé. Manifestement, le modèle de Berain eut une heureuse fortune : d’une part, dix ans après la livraison des deux bureaux, il fut repris en marqueterie de cuivre, d’ébène et de bois violet sur le plateau d’une commode livrée par Renaud Gaudron en octobre 1695 pour Marly. Ce qui prouve une certaine inertie de l’administration royale qui entendait utiliser encore le projet de Berain longtemps après sa création. D’autre part, Oppenordt lui-même s’appropria ce décor et l’adapta par la suite sur plusieurs de ses créations, notamment sur le plateau d’une commode en contrepartie et sur deux autres dont une provenant de l’ameublement de Charles-Henri Malon de Bercy, au château de Bercy.
Nous ignorons les tribulations de notre bureau après la vente de 1751. Comme beaucoup de meubles de provenance royale, il dut vraisemblablement quitter la France pendant les troubles de la période révolutionnaire. Toujours est-il que le bureau se trouvait au XIXe siècle en Angleterre et appartenait à Ferdinand James Anselm de Rothschild (1839-1898), lorsqu’il fut transformé en secrétaire de pente par l’adjonction sur les côtés et à l’arrière du bâti de panneaux de bois permettant de former l’inclinaison de l’abattant. De ce fait, chacun des panneaux latéraux a été amputé de l’un de leurs angles, coupant une partie de la fleur de lis marquetée. Les panneaux en forme de parallélépipèdes irréguliers, rajoutés en surélévation, ont été revêtus de remplois des faux tiroirs en ceinture supprimés, où l’on retrouve les mêmes motifs, les monogrammes et la fleur de lis. L’ancienne brisure du plateau, dépourvu de son rebord en cavet, a été à son tour comblée et remplacée par une nouvelle, située au dessus du soleil anthropomorphe. Le nouvel abattant ainsi obtenu, qui une fois ouvert offre un espace de travail plus important, découvre deux rangées chacune de trois tiroirs, situés de part et d’autre d’une niche compartimentée en deux par l’adjonction d’une tablette. Des roulettes en bronze furent rajoutées à quatre des pieds du bureau pour faciliter son déplacement.
Issu de la branche autrichienne de la célèbre famille de banquiers, le baron Ferdinand de Rothschild est né à Paris, éduqué à Vienne et s’établit en Angleterre dans les années 1860, où il fut naturalisé en 1883 et accéda au pairie en 1885. Politicien libéral, il siégea à la Chambre des Communes entre 1885 et 1898 et fut shérif de Buckinghamshire dès 1883. Philanthrope, il fonda plusieurs institutions charitables au Royaume Uni et fut l’un des plus importants amateurs d’art et collectionneurs de la seconde moitié du XIXe siècle. Passionné par la Renaissance, le baron de Rothschild confia à l’architecte Hippolyte
Destailleur (1822-1893) l’édification de sa demeure de Waddesdon, que celui-ci réalisa entre 1874 et 1889 en reprenant des éléments d’architecture des monuments français du XVIe siècle, notamment l’escalier du château de Blois, etc. Ici, il reçut la reine Victoria le 14 mai 1890, mais aussi l’empereur Frédéric d’Allemagne ou le shah de Perse. L’architecture de la demeure, son aménagement intérieur et ses collections richissimes devinrent synonymes du « goût Rothschild ». C’était normal que le baron Ferdinand fût ainsi intéressé par ce bureau dont toute la décoration évoquait la provenance royale française. Peut-être son état de conservation moins bon que celui de sa paire en première partie le décida de remanier le bureau et de l’amener dans sa forme actuelle.
Fidèle dans ses amitiés, Ferdinand de Rothschild offrit le bureau à Constance Gwladys Robinson, marquise de Ripon (1859-1917), avec laquelle il partageait le même engouement pour les arts du spectacle. Elle-même mécène des arts, la marquise était une amie d’Oscar Wilde, qui lui dédia sa pièce de théâtre À Woman of No Importance, contribua au succès londonien de Nellie Melba, mais aussi de Nijinsky et de Diaghilev. A son décès, le bureau fut hérité par sa fille Lady Gladys Mary Juliet Lowther, née en 1881 de son premier mariage avec St. George Henry Lowther, 4e comte de Lonsdale. Celle-ci épousa en 1903 Sir Robert George Vivian Duff, 2e baronnet Duff, qui fut tué en 1914 pendant la Grande Guerre. A l’instar de sa mère Lady Duff fut une protectrice des arts et une amie des artistes. C’est de ses collections que notre bureau fut vendu en 1963.
Originaire de la ville et duché de Gueldre, où il naquît vers 1639, Alexandre-Jean Oppenordt était issu peut-être d’une famille protestante et était le fils d’un boucher, Henri Oppen Oordt et de Marie Tendart. Il émigra en France dans les années 1655-1660, fit son apprentissage avant 1668 dans l’atelier de César Campe, autre ébéniste du Garde Meuble de la Couronne, et fut naturalisé par lettres enregistrées dans la Chambre des Comptes le 22 octobre 1679. Installé au début dans l’enclos du Temple à Paris, il reçut un brevet de logement aux galeries du Louvre le 18 mars 1684, puis un second logement, dès 1691, rue Champfleury, dans une maison appartenant au roi, où il installa ses deux ateliers. Il devint ébéniste ordinaire du roi en 1684, charge qu’il conserva jusqu’à la fin de sa vie, comme en témoignent les Comptes des Bâtiments du roi, pour lesquels il réalisa, entre autres, les médaillers pour le Cabinet des médailles du roi en 1684 et 1686, le bureau pour le Cabinet des curiosités en 1684, le parquet de la Petite Galerie de Versailles, en 1686, etc. Son fils, Gilles-Marie, qui francisa son patronyme en Oppenort, devint architecte, voyagea en Italie où il fut très influencé par le baroque romain, exerça en tant qu’architecte du Régent et parvint à la noblesse par lettres de janvier 1722. Alexandre-Jean Oppenordt décéda le 11 mars 1715 et légua son atelier au fils d’Anne Monpetit, sa domestique, Etienne Goy, formé peut-être par le maître lui-même, qui fut envoyé en possession du legs le 25 avril 1715 et continua vraisemblablement pendant un certain temps de produire des meubles ou d’écouler le solde de pièces restantes de son donataire.
Nous remercions Calin Demetrescu pour la description de ce bureau.
1. Inv. 1986.365.3.
2. J. Guiffrey, Comptes des Bâtiments du Roi sous le règne de Louis XIV, t. II, Paris, Imprimerie Nationale, 1887, col. 761.
3. Ibid., col. 629.
4. J. N. Ronfort, « Le mobilier royal à l’époque de Louis XIV. 1685. Versailles et le bureau du roi », L’Estampille, 191, avril 1986, p. 44-51. Les informations de cet article ont été reprises depuis par J. Parker e.a., French Decorative Arts during the Reign of Louis XIV, 1654-1715, New York, 1989, et par D. Kisluk-Grosheide, e.a., European Furniture in The Metropolitan Museum …, New York-New Haven-London, 2006, cat.17, p. 50-53.
5. Arch. nat., O1 3333 : Inventaire général des meubles de la Couronne, qui fut publié par J. Guiffrey en 1885-1886 et sur lequel les bureaux ne sont pas mentionnés.
6. Arch. nat., O1 3336 : Inventaire général…, du 31 décembre 1729 ; c’est sur cet exemplaire de l’inventaire dressé à l’initiative de Gaspard-Moïse-Augustin de Fontanieu (1694-1767), qu’on retrouve les bureaux sous le numéro 561.
7. Arch. nat., O1 3336 : Inventaire général…, du 31 décembre 1729 ; c’est sur cet exemplaire de l’inventaire dressé à l’initiative de Gaspard-Moïse-Augustin de Fontanieu (1694-1767), qu’on retrouve les bureaux sous le numéro 561.
8. Arch. nat., O1* 3306 : Journal du Garde Meuble de la Couronne. Une annotation en marge précise que la commode, décrite comme « une grande table en bureau, garnie de trois grands tiroirs […] sur le dessus de ladite table est gravé les chiffres du Roy couronnez, avec des lyres d’Apollon aux costez et des chiffres aux quatre coins accompagnez d’ornemens », etc., avait été inventoriée au chapitre des « Cabinets au N°487 ». En effet, la même description se retrouve sous ce numéro, dans J. Guiffrey, Inventaire général…, t. II, 1886, p. 172.