jeudi 24 novembre 2016
Paire de cabinets à hauteur d’appui.
Chêne, placage d’ébène, d’amarante et de satiné, panneaux en laque du Japon et en vernis parisien, cuivre, bronze doré, onyx brun, ouvrant par une porte.
Estampillés de N. Petit. (1732-1791), Maître en 1761.
Paris, vers 1765-1770.
Hauteur : 99,5 cm – Longueur : 83 cm – Profondeur : 38 cm
Provenance :
Vraisemblablement le marchand mercier Martin Hennebert, en 1770.
Le marchand mercier Jean-Racinel Delaplanche, en 1775.
Guillaume Baillet, baron de Saint-Julien (1726-1795), sa vente du 21 juin 1784, n°212 ; acquis par Jean-Baptiste-Guillaume, abbé de Gevigney (1729-1802).
Grand salon de l’hôtel d’Orrouer, 87, rue de Grenelle à Paris, en 1991.
Puis collection d’un grand amateur européen.
Bibliographie :
Laure Murat, Robert Schezen, Grandes demeures de France, Paris, Arthaud, 1991, ill. p. 287.
Anne Droguet, Nicolas Petit 1732-1791, Paris, Les Editions de l’Amateur, 2001, p. 57, reproduit p. 58.
Thibaut Wolvesperges, Le meuble français en laque au XVIIIe siècle, Paris-Bruxelles, Les Editions de l’Amateur-Eds. Racine, 2000, p. 230-231, reproduit fig. 113.
D’aspect rectangulaire, ouvrant en façade par un vantail encadré de montants formant pans coupés aux angles, chacun de ces bas d’armoire est recouvert en placage d’ébène et est décoré de trois panneaux en laque du Japon. Conçus pour former pendants, les panneaux disposés sur les battants sont ornés de vases d’aspect globulaire avec anses en volutes, d’où jaillit un bouquet de feuilles et de fleurs, penché respectivement à gauche et à droite ; ils sont disposés dans un encadrement architecturé en vernis européen, composé de deux colonnettes à rubans entrelacés et dont la partie supérieure cintrée présente des écoinçons à fleurons, le tout suggérant un treillis. Sur l’un des bas d’armoire, les faces latérales renferment également des panneaux de laque décorés de vases avec des bouquets de fleurs, posés sur de petites tables, alors que sur l’autre, un des panneaux latéraux représente aussi une coupe remplie de fleurs, tandis que le second est orné d’un paysage représentant une clôture en bambou qui dissimule des roches, des branches d’arbre et des fleurs. Suggérant des pilastres plats, les montants latéraux en façade sont rythmés de trois cannelures de cuivre rudentées d’asperges en bronze et légèrement évasés vers la base qui forme la ceinture basse des meubles. Ils sont surmontés de triglyphes à larmier en bronze, alors que les montants arrière sont sommés par une rosace renfermée dans un carré d’où pend une chute. Les vantaux présentent un encadrement mouluré de bronze, souligné d’un registre de feuilles d’eau et d’un autre alternant des palmettes et de feuilles d’eau, tandis que les encadrements des panneaux sur les côtés sont ornés d’oves. A la partie supérieure, une double corniche en bronze, composée d’une frise denticulée et d’une autre de rosaces en entrelacs, forme une légère galerie surélevée autour du plateau en onyx brun. A leur tour les pieds droits sont parés d’appliques rectangulaires en pointe de diamant de bronze, alors que le tablier présente une agrafe posée sur une feuille de refend entourée par deux petites triglyphes, également en bronze doré. Les vantaux plaqués à la partie intérieure de bois satiné et d’amarante, découvrent un tiroir à serrure en ceinture et deux tablettes.
Cette paire de cabinets ou bas d’armoires fait partie d’un groupe de meubles exécutés par l’ébéniste Nicolas Petit dans les années 1765-1770, lesquels, s’inscrivent dans le style grec, première manifestation parisienne du néoclassicisme naissant. Ils sont tous décorés sur les vantaux de panneaux en laque du Japon ornés de vases de fleurs et présentent des variations mineures dans la parure de bronzes, notamment en ce qui concerne les chutes des montants en pan coupé : des triglyphes, sur notre paire, des rosaces sur une seconde, des masques féminins sur une troisième paire. Dans son ouvrage dédié au Meuble français en laque au XVIIIe siècle, Thibaut Wolvesperges avait mis en évidence un groupe de cinq cabinets de ce modèle, tous issus de l’atelier de Nicolas Petit, que cet auteur avait retrouvé dans l’inventaire après décès du marchand mercier Martin Hennebert, en 1770, puis dans celui de sa veuve, en 1775, laquelle avait épousé en secondes noces un autre marchand mercier, Jean-Racinel Delaplanche. Selon le même auteur, ce dernier aurait réussi à céder quatre d’entre eux en 1775 pour 2 000 livres. Thibaut Wolvesperges établit également des relations de travail entre le marchand Hennebert et Nicolas Petit, lui-même marchand ébéniste, établies dès 1765, tout en soulignant l’idée d’une fabrication récente, datant sans doute de la fin des années 1760 pour ce groupe de meubles. Hormis notre paire de cabinets, deux autres font partie des collections de S.M. la Reine d’Angleterre, conservés au palais de Windsor ; une troisième paire, comme le remarquait Anne Droguet dans sa monographie Nicolas Petit, se compose d’un cabinet seul, conservé par Victoria and Albert Museum de Londres et d’un autre, faisant autrefois partie de la collection de Mme Edward Esmond. Or, les cabinets des collections royales anglaises, caractérisés par la présence de masques féminins en bronze à l’aplomb des montants en pan coupé, se retrouvent sous le numéro 211, dans la vente du baron Baillet de Saint-Julien, en 1784, parfaitement identifiables d’après les têtes de femmes et les rosaces de grenades qui décorent les pilastres. Le lot suivant décrit une seconde paire de cabinets, lesquels, selon le même critère de la description des appliques en bronze des montants, correspondent en tout aux nôtres : 212. Deux jolies armoires de laque fond noir ; le vantau [sic] de devant formant panneau, est orné d’un vase de fleurs en relief, peu sensibles ; les petites côtés offrent des fragments de paysage de même genre ; les angles de la face en pans coupés, sont à cannelures de cuivre renfoncées, faisant pilastres ornés du haut du modillon en bronze à cannelures, soutenant une table d’albâtre entourée d’une moulure à deux ornements faisant corniche. Les panneaux sont bordés au pourtour de moulures. Le tout en bronze doré. Hauteur 36 pouces [97,452 cm], largeur 30 [81,21 cm], profondeur 15 [40,605 cm] (ill).
Une annotation en marge de ce lot nous renseigne sur le nom de l’acquéreur, l’abbé de Gevigney, personnage sulfureux et collectionneur impénitent, qui continuait visiblement à acheter après avoir vendu son importante collection de peintures, meubles et objets d’art en 1779. On serait tenté de reconnaître par la suite notre paire de cabinets dans les ventes successives de M. de Boullongne, le 8 mai, puis le 19 novembre 1787, respectivement sous les numéros 269 et 256 : Deux bas d’armoire, ouvrant chacun à un battant, à panneaux fond noir en laque du Japon, présentant un vase de fleurs en relief, les côtés aussi en laque ; ils sont ornés de quarts de rond à postes, pilastres à cannelures et tigettes, cadres à feuilles et chutes, avec dessus d’albâtre. Hauteur 37 pouces [100,159 cm], largeur 18 pouces [48,726 cm]. Enfin, on retrouve probablement cette dernière paire dans la vente du ministre Calonne en 1788, sous le numéro 412, d’après ses plateaux en albâtre – Deux bas d’armoire de laque à dessus d’albâtre – lorsqu’ils furent achetés par Mme Gorman. Cependant, la seconde dimension mentionnée dans les ventes de M. de Boullongne, de 1787, qui ne correspond ni aux largeurs et profondeurs de nos cabinets, ni à celles d’aucuns autres conservés, ainsi que la description trop sommaire de la vente Calonne, nous imposent une attitude précautionneuse quant à ces rapprochements. Toujours est-il que la présence des quatre cabinets dans la vente Baillet de Saint-Julien, en 1784, vient de corroborer la découverte de Thibaut Wolvesperges, qui mentionnait la vente d’un lot de quatre meubles identiques en 1775, par le marchand Jean-Racinel Delaplanche et de pouvoir établir ainsi que nos cabinets proviennent vraisemblablement du stock de ce dernier et appartenaient auparavant au marchand Martin Hennebert.
Enfin, nous retrouvons cette paire de cabinets, photographiée en 1991, lorsqu’elle faisait partie de l’ameublement du grand salon de l’hôtel d’Orrouer-Bauffremont, sis au 87, rue de Grenelle à Paris (ill.).
Originaire de Chaource, dans le diocèse de Troyes en Champagne, Nicolas Petit, voit le jour en 1732, benjamin de la nombreuse famille d’un huissier royal. Ainsi qu’un de ses frères et de sa sœur, il s’installe à Paris vraisemblablement entre la date du décès de sa mère, en 1746 et celui de son père, survenu en 1753, car cette dernière année on le retrouve travaillant comme ouvrier libre au faubourg Saint-Antoine. Il épouse en 1758 la demi-s?ur de l’ébéniste Adrien Dubois, lequel, décédé quelques semaines auparavant, lui assure un héritage apportant environ 4 000 livres à sa dot. Le ménage s’installe au second étage d’une maison grande rue du faubourg Saint-Antoine, vis-à-vis la rue de Charonne. Nicolas accède à la maîtrise le 21 janvier 1761, mais ne fait pas enregistrer ses lettres que le 27 septembre 1763. Il s’adonne à l’activité de Maître et marchand ébéniste¸ comme le consigne l’inventaire après le décès de son épouse, survenu le 29 mars 1765. Une année plus tard, Nicolas Petit convole en secondes noces avec la fille d’un marchand vinaigrier-épicier aisé et loue un autre logement plus important, correspondant au n°47 actuel de la rue du Faubourg-Saint-Antoine. Cette nouvelle installation lui permet d’accroître ses activités et de donner un nouvel essor au commerce de meubles. Il travaille avec ses confrères Gérard Péridiez, Joseph Schmitz, Gilbert, Jean-Pierre Dusautoy, Ferdinand Bury, Martin Oheberg, etc., est élu juré, puis en 1783 adjoint au syndic, et devient enfin syndic de la corporation des Maîtres menuisiers-ébénistes de 1784 à 1785. A son décès, l’inventaire dressé le 21 août 1791 témoigne d’un atelier et d’un commerce actifs, où les quelques 700 meubles sont estimés à plus de 26 000 livres, ainsi que de l’aisance du ménage de Nicolas Petit dont la valeur du mobilier personnel et des vêtements monte à 7 044 livres et celle de l’argenterie à 1 263 livres. Il comptait parmi ses clients le duc d’Orléans, le duc de Bouillon, la princesse de Hesse, le comte de Jarnac, le marquis de Chabert, Mme de Chabrillan, Mme de Châteauroux, etc. Très variée, sa production est caractérisée par quantité de meubles suivant l’évolution stylistique de son époque, entre le retour à l’antique des années 1760, le style Transition et le style Louis XVI, pour lesquels il emploie les placages de bois de rose, de satiné, d’amarante et d’acajou, mais aussi la marqueterie de bois de rapport ou de bois de bout, ainsi que les panneaux de laque extrême-oriental.
Depuis la publication de l’ouvrage de Nathalie Manceau en 2014, on connaît mieux la biographie de Guillaume Baillet, baron de Saint-Julien. Originaire d’une famille de Bourgogne, il fut un grand amateur de peinture et l’une des figures méconnues de la critique d’art naissante des années 1740-1770. Il fait imprimer des recensions des Salons de 1748, de 1750 et 1753, est l’auteur du poème La Peinture, publié en 1755, des Satires nouvelles et autres pièces de littérature, en 1754, des ?uvres mêlées, en 1758, mais aussi de L’Art de composer et faire des fusées volantes et non volantes, édité en 1775. Il constitua quatre collections d’art, rassemblées selon le critère des trois écoles, puis vendues successivement en 1759, 1784, 1785 et 1788, qui traduisent ses choix allant vers les artistes combinant l’effet du réel et la force de l’expression, tel Chardin auquel il adresse une Lettre à M. Ch…, sur les caractères en peinture, publiée en 1753.
Personnalité hors norme, Jean-Baptiste-Guillaume, abbé de Gevigny naquit à Besançon en 1729, dans la famille d’un procureur au parlement et auditeur à la chambre des comptes de Dole. Entré au séminaire en 1748, il est ordonné prêtre en 1753, devient docteur en théologie, puis est archiviste généalogiste à Besançon, en Franche-Comté, en Lorraine et en Bourgogne, où il s’adonne au pillage des fonds d’archives. Arrivé à Paris en 1761, il occupe la charge de généalogiste de Monsieur, du comte d’Artois, du comte de Saint-Florentin, enfin celle de garde du cabinet des Titres et généalogies de la Bibliothèque du roi, entre 1779 et 1785. L’abbé de Gevigny commet des faux et, soupçonné de vol dans les archives, il se réfugie à Dijon, où il devient administrateur municipal, et où, profitant des troubles révolutionnaires, finit par épouser en 1793 sa servante, qui lui donnera un fils. Il avait réuni une importante collection de peintures des trois écoles, d’objets d’art et des meubles, parmi ces derniers figurant une armoire monumentale en marqueterie de laiton et d’écaille, autrefois dans les collections du prince Beloselsky-Belozersky et dont la paire en contrepartie est conservée au château de Versailles. Il finit ses jours à Dijon en 1802.
1 Thibaut Wolvesperges, Le meuble français en laque au XVIIIe siècle, Paris-Bruxelles, Les Editions de l’Amateur-Eds. Racine, 2000, p. 230-231.
2 Ibid., p. 230.
3 Ibid., p. 231.
4 Inv. RCIN 2473.
5 Anne Droguet, Nicolas Petit, 1732-1791, Paris, Les Editions de l’Amateur, 2001, p.57 et note 48.
6 Inv. 1074 :2-1882.
7 Sotheby’s, Monaco, 3 décembre 1994, n°129.
8 Lugt 3749, du 21 juin.
9 Lugt 4183 et 4219.
10 Lugt 4304, du 21 avril.
11 Laure Murat, Robet Schezen, Grandes demeures de France, Paris, Arthaud, 1991, p. 287. Depuis 1988, l’hôtel est devenu la résidence de M. Hubert de Givenchy.
12 Arch. nat., Min. cent., V, 543, du 23 avril 1765, publié par Patricia Lemonnier, « Nicolas Petit, un ébéniste prospère », L’Estampille, janvier 1990, p. 44-51. Voir aussi Anne Droguet, op. cit., p. 15-16.
13 Arch. nat., Min. cent., CV, 1420, du 2 pluviôse an II. Voir Anne Droguet, ibid., p. 24.
14 Guillaume Baillet de Saint-Julier (1726-1795), un amateur d’art au XVIIIe siècle, Paris, Champion, 2014.
15 Christie’s, Monaco, 18 juin 1989, n°212.
16 Inv. V 3670.