jeudi 24 novembre 2016
Grand bureau à tiroir coulissant en chêne et résineux, acajou, cuivre, bronze doré, maroquin rouge rapporté.
Attribué à David Roentgen (1743-1807), Maître à Paris le 19 mai 1780.
Paris ou Neuwied, vers 1785.
Hauteur : 84 cm – Longueur : 182,5 cm – Profondeur : 85 cm
On joint un cartonnier en basane rouge d’époque postérieure s’adaptant pour servir d’écritoire.
Provenance :
Ancienne collection Paul Lebaudy, dans son hôtel de Paris, 15, avenue du Bois de Boulogne, actuellement avenue Foch, (aujourd’hui détruit).
Bibliographie :
Hans Huth, Roentgen Furniture : Abraham and David Roentgen, European Cabinet Makers, Londres, 1974.
Rosemarie Stratmann-Döhler, Mechaniche Wunder Edles Holz. Roentgen-Möbel des 18. Jahrhunderts in Baden und Württemberg, Karlsruhe, 1998.
Christian Baulez, David Roentgen et François Rémond. Une collaboration majeure dans l’histoire du mobilier européen, in L’Estampille/L’Objet d’Art n°305, septembre 1996.
Achim Stiegel, Präzision und Hingabe.Möbrlkunst von Abraham und David Roentgen, Berlin, 2007
Jean-Jacques Gautier, Bertrand Rondot et alii, Le château de Versailles raconte le Mobilier national. Quatre siècles de création, Paris, 2011.
Wolfram Koeppe et alii, Extravagant inventions, the princely furniture of the Roentgens, New York, 2012.
Evoquant par son aspect imposant et architecturé une grande table à écrire avec une ceinture surhaussée, ornée sur tous les côtés de panneaux en légère saillie dont les angles sont ponctués de rosaces en bronze doré, ce meuble en acajou présente en façade un tiroir muni de deux poignées à tores de lauriers enrubannés, maintenus par deux rosaces d’acanthe aussi de bronze, ainsi qu’une entrée de serrure médiane. Le tiroir, monté à coulisse et à charnières, se rabat pour former bureau, découvrant à l’intérieur deux caissons latéraux délimités par de doubles cannelures verticales. Aux angles de la ceinture sont disposées des pièces de raccordement en saillie, rythmées sur chaque face de doubles cannelures recouvertes en cuivre. En sa partie inférieure, la ceinture est soulignée d’une moulure composée de godrons légèrement torsadés rangés en épi, alors que le plateau est ceint par un encadrement mouluré formant ressauts aux angles, le tout en bronze doré. Le bureau repose sur quatre pieds en gaine à faces évidées finissant avec des chapiteaux carrés à palmettes d’acanthe et avec des sabots rectangulaires moulurés, ornés d’une frise de godrons et montés sur un coussinet carré aplati. Le plateau, ainsi que la partie intérieure du tiroir formant écritoire sont recouverts de maroquin rouge rapporté.
Notre bureau appartient à un modèle de meubles élaboré par Roentgen vers 1780 dont le tiroir en ceinture surdimensionné peut abriter soit le mécanisme d’un piano, d’une toilette, d’une table de jeu, ou bien, comme dans notre cas, un pupitre rabattable avec des casiers formant secrétaire. Il faut chercher vraisemblablement l’origine de ces pièces dans la collaboration entre Roentgen et l’horloger et facteur d’instruments Peter Kinzing (1745-1816), qui mirent au point un nouveau type de piano dit à tiroir, dont le clavier était dissimulé par un abattant, donnant ainsi au meuble l’apparence d’un grand bureau plat. Ce genre d’instrument, que Roentgen fabriqua dans ses ateliers de Neuwied, connut un relatif succès : deux exemplaires furent livrés en 1786 à l’impératrice Catherine II de Russie, dont un est toujours conservé au palais de Gatchina et le second fut vendu par les Soviets en 1930, un autre se trouve dans les collections de Saxe-Cobourg-Gotha à Vienne, un quatrième est passé en vente, et enfin un dernier appartenant au Mobilier national, réputé provenir de Louis-Hercule-Timoléon, duc de Brissac (1734-1782) suite aux saisies révolutionnaires, puis privé de sa partie instrumentale, fut transformé en bureau et employé au XIXe siècle par les directeurs du Conservatoire de musique de Paris. A quelques exceptions près, l’aspect de cette dernière pièce est très similaire à ce bureau, avec le panneau en léger relief aux angles pastillés du tiroir, dont les poignées de bronze doré sont identiques aux nôtres (ills). Par ailleurs, la présence de parties évidées formant réserves sur les pieds en gaine du bureau, laisse supposer que ceux-ci étaient aussi ornés à l’origine de motifs brettés en bronze comme sur l’ancien piano du Mobilier national.
L’assemblage des pieds sans écoinçons, ainsi que la présence du tiroir surhaussé sont communs à notre bureau, au piano vendu par Sotheby’s, mais aussi à deux tables de toilette conservées au château de Ludwigsburg, ou à une table d’architecte du Metropolitan Museum of Art de New York et à deux autres tables d’architecte, passées en vente à Londres et à Paris, cette dernière présentant elle aussi des poignées identiques de bronze doré. La présence de chapiteaux et de sabots en bronze d’un type différent de ceux employés habituellement par Roentgen, plus proches, en fait, de modèles français, renforce l’hypothèse que ce bureau, plutôt que fabriqué dans ses ateliers de Neuwied, aurait pu être monté plus vraisemblablement à Paris, où la collaboration de l’ébéniste avec le bronzier François Rémond est désormais établie.
Fils d’Abraham Roentgen, ébéniste célèbre à Neuwied, près de Coblence, David naquit en 1743 ; éduqué et formé au sein de la communauté des Frères Moraves, auxquels sa famille appartenait, il apprit l’ébénisterie et devint le successeur de son père en 1772. Avec un sens tout particulier de l’entreprise, il développa l’atelier familial de Neuwied, qui employait à la fin du XVIIIe siècle plus d’une centaine d’ouvriers. Il voyagea une première fois à Paris en 1774 en proposant ses services à Marie-Antoinette, puis, il y retourna en 1779 et tenta d’obtenir la protection de la reine et le privilège de vendre ses meubles dans la capitale sans devenir membre de la communauté des menuisiers ébénistes. Cependant, cette dernière l’obligea à en devenir membre et il obtint la maîtrise en avril 1780. En mars 1779, Louis XVI lui acheta un imposant secrétaire à mécanique, pourvu d’un jeu de flûte, que le roi fit placer dans la salle à manger des retours de chasse, à Versailles, et qui fut dépecé au XIXe siècle. Il présenta à la reine, en 1784, un automate représentant une Joueuse de tympanon réalisé en collaboration avec Peter Kinzing, que Marie-Antoinette acheta début 1785 et fit aussitôt don à l’Académie des Sciences. Parmi ses clients se comptaient également le comte et la comtesse de Provence, le comte et la comtesse d’Artois, le roi de Prusse et le prince Charles de Lorraine. Mais, incontestablement, sa meilleure cliente fut l’impératrice Catherine II de Russie, qui lui acheta dès 1783 une grande quantité de meubles, comme elle le témoignait dans une lettre adressée à Grimm : David Roentgen et ses deux cent caisses sont arrivés sains et saufs, à point pour apaiser ma fringale… Le succès de Roentgen lui permit d’ouvrir aussi des magasins à Berlin et à Vienne. Pendant la Révolution les biens de l’ébéniste furent confisqués à Paris et il dut rentrer à Neuwied, mais ici aussi en 1794, son atelier fut mis à sac par les armées révolutionnaires. Roentgen se réfugia à Gotha, puis à Berlin, pour ne revenir dans sa ville qu’en 1802. Il décéda en 1807
Pendant un voyage à Wiesbaden.
Pendant les premières années du XXe siècle, notre bureau faisait partie des collections de Paul Lebaudy et se trouvait dans l’ancien salon de musique de son hôtel parisien, situé alors au 15, avenue du Bois de Boulogne (actuelle avenue Foch), comme en témoignent deux photos de Gustave William Lemaire (ills.).Grand collectionneur comme plusieurs membres de sa famille, Paul Lebaudy conservait ses meubles et objets précieux à Rosny et dans son hôtel parisien situé au numéro 15 de l’actuelle avenue Foch, aujourd’hui détruit, où, entre autres pièces remarquables, figurait le bureau de Roentgen.
1 Vente, Berlin, Rudolph Lepke, 2 juin 1930, n°155, cité par Wolfram Koeppe et alii, Extravagant inventions, the princely furniture of the Roentgens, cat. exp. Metropolitan Museum, New York, 2012, cat. n°52, p. 176-177.
2 Sotheby’s, Paris, 19 avril 2016, n°250.
3 Inv. GME 17092, aujourd’hui en dépôt au musée national des châteaux de Versailles et des Trianon, voir Jean-Jacques Gautier, Bertrand Rondot et alii, Le château de Versailles raconte le Mobilier national. Quatre siècles de création, Paris, 2011, p. 162-164.
4 Staatlichen Schlösser und Gärten Baden-Württemberg, inv. Nr. SchL 1106 et 1090, voir Rosemarie Stratmann-Döhler, Mechaniche Wunder Edles Holz. Roentgen-Möbel des 18. Jahrhunderts in Baden und Württemberg, Karlsruhe, 1998, cat. 19, p. 110-111 et cat. 29, p. 136-137.
5 Inv. L.2009.19.
6 Christie’s, 4 juillet 2013, n°11.
7 Espace Pierre Cardin, Me Rémy Le Fur et Associés, 17 juin 2008, n°99.
8 Christian Baulez, « David Roentgen et François Rémond. Une collaboration majeure dans l’histoire du mobilier européen » in L’Estampille/L’Objet d’Art n°305, septembre 1996, p. 96-118.
9 Christian Baulez, « David Roentgen et François Rémond. Une collaboration majeure dans l’histoire du mobilier européen » in L’Estampille/L’Objet d’Art n°305, septembre 1996, p. 96-118.
10 Médiathèque de l’Architecture et du Patrimoine, inv. 67L01366 et 67L103090.