mercredi 7 décembre 2016
Commode à la Régence provenant du château de Versailles.
Chêne, placage de bois de rose, bois violet, palissandre, buis, bronze doré, marbre brun-rouge rapporté (restauration).
Inscription à l’encre noire, en partie effacée, sur le dos du bâti : N° [2]610 et deux marques au fer W couronné apposées aussi au dos.
Trace d’estampille de P. H. MEWESEN.
Paris, 1771.
Hauteur : 90 cm – Largeur : 144 cm – Profondeur : 58 cm
Provenance :
Livrée le 13 mai 1771, par Gilles Joubert (1689-1775), pour le service de la comtesse de Provence.
Inventoriée en 1776, 1785, 1788 et en 1792, dans la 2nde Antichambre ou Pièces des Nobles du comte de Provence à Versailles.
Cette commode à ressaut médian, ouvrant en façade par deux tiroirs sans traverse et par trois autres petits en ceinture, repose sur quatre pieds légèrement galbés, ceux à la partie antérieure se continuant avec des montants en pans coupés. Les grands tiroirs ainsi que les côtés sont ornés de panneaux soulignés de filets en bois violet et buis, formant entrelacs droits aux angles, et de cubes marquetés en perspective, suggérant un décor en relief, alors que le ressaut médian présente une réserve rectangulaire, saillante, entourée par doubles filets réunis aussi en entrelacs débordants aux extrémités et renfermant un motif réticulé, ponctué de rosaces quadrilobes. Les montants sont décorés d’un pilastre rythmé par trois cannelures, tandis que les tiroirs en ceinture forment des réserves rectangulaires entourées de filets, le tout recouvert en placage de bois de rose, de satiné et de palissandre. La garniture de bronzes dorés comporte des triglyphes à larmiers, surmontés de chapiteaux ioniens d’où s’échappent des chutes de laurier, disposés sur les montants, des encadrements godronnés pour les tiroirs en ceinture et autour du panneau médian, une entrée de serrure en forme de médaillon ovale accroché à un nœud de rubans et flaquée de chutes de laurier, des mains à anneaux circulaires et plaques ornées de rosaces tournoyantes, enfin, des chutes, des sabots et une agrafe de tablier décorés de volutes, de feuilles d’acanthe et de petits triglyphes. La ceinture est délimitée du corps de grands tiroirs par une moulure de cuivre. La commode présente un plateau en marbre brun-rouge rapporté.
Cette commode fut livrée par l’ébéniste Gilles Joubert le 13 mai 1771, pour servir dans l’appartement de Madame la Comtesse de Provence au château de Versailles et inscrite dans le Journal du Garde Meuble de la Couronne sous le numéro 26101 : Une Commode à la Régence de bois violet et roze à placages en forme de carreaux, ayant au milieu un panneaux de rozette avec son dessus de marbre brèche d’Alep ayant au milieu deux grands tiroirs et 3 petits au-dessus fermans à clef par une même serrure ornée de mains formées par des feuilles de laurier avec rozes, entrées de serrure, anneaux à rozettes, frises, carderons, le tout de bronze cizelé et doré d’or moulu, longue de 4 pieds ½ [146,16 cm] sur 24 pouces [67,97 cm] de profondeur et 34 pouces [92,04 cm] de haut2.
En effet, le Mémoire des ouvrages d’ébénisterie qui ont été faits et fournis au Garde Meuble du Roy3, par Joubert, consigne la livraison le 13 mai de trois commodes pour le service de la comtesse de Provence, dont deux, longues de 4 pieds 1/2 de bois violet et rose à fleurs ornées de bronzes et fermant à clef, respectivement pour le cabinet d’entrée et pour la chambre à coucher de la princesse, et une troisième, seulement de 4 pieds de longueur, toujours pour cette dernière pièce. Elles furent enregistrées à cette date dans le Journal du Garde Meuble sous les numéros 2609, 2610 et 2611.
Une annotation du commis du Garde Meuble rajoutée sur le mémoire de Joubert, précise qu’en fait, l’ordre dit sans date de mois par l’ébéniste, avait été donné par l’intendant de cette administration le 11 mars 1771. Ainsi, cette livraison doit-elle être mise en rapport avec le mariage imminent de Louis-Stanislas-Xavier, comte de Provence (1755-1824), avec Marie-Joséphine de Savoie (1753-1810). La célébration de l’union du frère cadet du futur roi Louis XVI avec la fille du Victor-Amédée III de Sardaigne eut lieu dans la chapelle du château de Versailles le 14 mai 1771.
Nous ignorons si notre commode et celle qui la précédait furent vraiment installées chez la comtesse de Provence à laquelle elles étaient destinées, car nous ne possédons pas d’inventaire de son appartement et de celui de son époux avant 1776. Visiblement, avant cette dernière date notre commode avait déjà fait l’objet d’un remploi, car elle fut alors inventoriée dans le Grand cabinet de Monsieur, qui était celui de son conseil : 2610 – 1e Commode de marqueterie à dessus de marbre4. Au même moment, la commode numéro 2609 se trouvait aussi dans le logement du frère du roi. Plus tard, en 1785, bien que les numéros du Garde Meuble ne soient pas mentionnés dans le nouvel Inventaire général de Versailles effectué cette année, on reconnait parfaitement notre commode d’après sa description : 1 Commode à la Régence de 4 pi ½ de large, 22 p° de profondeur, 33 p° de haut, plaquée de bois de roze, filets, cannelures et champs de bois de palissandre, le corps des panneaux plaqués en dez, au milieu une table saillante plaquée à batons rompus, mosaïque et fleurettes, ornée de sabots, chapiteaux, portans, moulures, anneaux et entrées de serrure de bronze doré, avec dessus de marbre brèche d’Alep5. Elle faisait partie de l’ameublement de la Seconde Antichambre ou Pièce des Nobles du comte de Provence, endroit où elle allait être à nouveau inventoriée en 1788, avec un énoncé identique6 (voir ill.). Mentionnons également que l’autre commode enregistrée sous le numéro 2609 était disposée elle aussi dans les appartements de Monsieur depuis 1776, où elle restera jusqu’à la fin de l’Ancien Régime.
A ce moment, notre commode se trouvait toujours à Versailles, dans la Pièce des Nobles du comte de Provence, lorsque la même description de 1785 et 1788 fut pratiquement reprise dans le second tome de l’Inventaire général des meubles de la famille royale, dressé en 17927.
Le comte et la comtesse de Provence furent logés aussitôt après leur mariage dans un appartement au rez-de-chaussée du château de Versailles, éclairé sur le parterre d’eau et sur le parterre du Midi et qui servait habituellement à loger l’héritier présomptif, le dauphin, ou le frère du roi, appelé Monsieur8 (voir ill.). Monsieur et son épouse ne quittèrent cet appartement qu’en 1787, lorsque le dauphin, fils de Louis XVI et de Marie-Antoinette fut en âge d’occuper son appartement traditionnel dans le corps central du château9. Ils furent logés alors dans l’aile du Midi ou des Princes, dans un appartement distribué sur trois étages, où habitaient auparavant la princesse de Lamballe et son beau-père, le duc de Penthièvre, appelé le pavillon de la Surintendance, qui prit dès lors le nom de pavillon de Provence (voir ill.).
La seconde antichambre ou la pièce des Nobles du comte de Provence, était éclairée par deux croisées sur le parterre du Midi (voir ill.), obturées par quatre voilages en mousseline rayée et par quatre rideaux en gros de Tours cramoisi. Hormis notre commode n°2610, elle était meublée de l’autre grande commode n°2609 livrée initialement pour son épouse, de sept différentes tables de jeux, de quatre banquettes et huit tabourets en bois mouluré et sculpté à pieds de biche, enfin de deux bois à chanfrein, le tout couvert d’ouvrages de Savonnerie. Enfin, deux lustres en cristal de roche, deux paires de bras à trois branches à palmettes et bobèches en rocailles, branche de roses, en cuivre doré d’or moulu et une grille de cheminée complétaient le décor de cette pièce10.
Par ailleurs, le mémoire de Joubert fait état de deux autres commodes en tout pareille ou pareille à la première, hormis la dimension d’une d’entre elle. Or, d’après la description très précise du Journal du Garde Meuble et de l’Inventaire de Versailles de 1785, on apprend que la première des commodes livrées par Joubert, enregistrée sous le numéro 2609, appartenait aussi au type à la Régence, avec deux grands et trois petits tiroirs en ceinture fermants à clef par une même serrure, mais qu’elle était décorée par un cartel d’architecture entouré de panneaux à oiseaux et instruments de musique et ceux des bouts à vases, aussi que ses bronzes plus riches comportaient des sabots à griffes de lion. Hormis son aspect général, son décor était assez éloigné de celui de notre commode, numéro 2610, et de la suivante, enregistrée dans le Journal au numéro 2611, qui est aussi conservée11 et porte l’estampille de l’ébéniste Pierre Denizot (ll.).
En raison du bref délai de livraison pour ces meubles, Joubert, qui pratiquait par ailleurs la sous-traitance, n’hésita point de se fournir chez ses confrères, pour satisfaire à la commande du Garde Meuble.
Pierre Harry MEWESEN, reçu Maître le 26 mars 1766.
Sa production compte essentiellement des meubles d’époque Transition et utilise des motifs géométriques réguliers tels que les marquèteries de cubes et quadrillages.
Il utilise également le mécanisme de serrure unique, comme le faisait à la même époque Simon Œben ou Pierre Denizot.
1 Suite à la restauration du meuble, le chiffre 2 est presqu’entièrement effacé ; cependant, la description du Journal du Garde Meuble de la Couronne correspondant à cette livraison, enlève tout doute quant à l’identification de notre commode.
2 Arch. nat., O1*3319, f°55 v°.
3 Arch. nat., O1 3623.
4 Arch. nat., O1* 3457 : à ce moment, dans l’inventaire des meubles de Versailles, la commode est inscrite à cet endroit deux fois, parmi les meubles d’été et en hyver […] 2610 1 commode.
5 Arch. nat., O1* 3461, p. 436-437.
6 Arch. nat., O1* 3463, p. 440-441.
7 Arch. nat., O1* 3355, p. 8.
8 William R. Newton, L’espace du roi. La cour de France au château de Versailles 1682-1789, Paris, Fayard, 2000, p. 149 et note 7.
9 Ibid., p 193.
10 Arch. nat., O1* 3461, p. 435 et suiv.
11 Vendue à Paris, par Sotheby’s, le 28 avril 2009, n°80 et achetée depuis par le musée national des châteaux de Versailles et des Trianon, inv. V 6260.