SÈVRES
mercredi 3 décembre 2014
Exceptionnelle plaque en porcelaine dure ornée du portrait de la Vierge de trois – quarts d’après une peinture aujourd’hui disparue d’Anne – Louis Girodet (1767 – 1824), Le Visage de la Vierge. Peinte et signée par Athénaïs Paulinier. Signée «Ath. Paulinier» et datée «1834». Dimensions: 59 cm x 50 cm sans le cadre. Exposition: Salon de Paris de 1835 (n°1666). Provenance: Collection privée française. A magnificent Sèvres porcelain plaque painted with a quarter length portrait of the Virgin, after a lost painted by Anne – Louis Girodet entitled « Le visage de la Vierge » (The head of the Virgin). Painted, signed by Athenaïs Paulinier « Ath. Paulinier » and dated « 1834 ». Measurements: 59 x 50 cm excluding frame. Exhibited at the Paris Exposition Universelle in 1835 (n°1666). L’une des ambitions les plus audacieuses du XIXe siècle fut d’immortaliser les chefs – d’oeuvre des maîtres anciens menacés d’être détruits avec le temps. Alexandre Brongniart (1770 – 1847), administrateur de la manufacture de Sèvres entre 1800 et 1847, encouragea la copie de peintures célèbres sur de larges plaques de porcelaine, dont la technique fut perfectionnée dans le premier quart du XIXe siècle. En 1817, le comte de Forbin autorisa les artistes à venir au Musée Royal (Louvre) afin de copier les oeuvres qui y étaient conservées, acceptant également de prêter certaines peintures à la manufacture de Sèvres. Ces travaux furent confiés aux peintres les plus accomplis de la manufacture tels que Marie Victoire Jacquotot (active à la manufacture de 1801 à 1842). La réalisation de ces copies uniques sur plaque de porcelaine était très complexe. Elle nécessitait le talent de peintre mais également une maîtrise totale des techniques de la porcelaine: les couleurs changeaient après cuisson et la température du four n’était pas aisée à contrôler. Pour rester le plus fidèle possible au modèle original, l’artiste devait également prendre le risque de cuire la plaque plusieurs fois, en la retouchant systématiquement après chaque cuisson. Préférant d’abord les oeuvres classiques de la Renaissance italienne et flamande (comme la copie de La Madone aux oeillets de Raphaël par madame Jacquotot), ainsi que les grands peintres français du XVIIe siècle, les artistes de la manufacture copièrent ensuite quelques oeuvres contemporaines d’élèves de Jacques – Louis David notamment François Gérard, Antoine – Jean Gros et Anne – Louis Girodet (copie des Funérailles d’Atala par madame Jacquotot). Ainsi, Athénaïs Paulinier présenta au Salon de 1835 cette plaque reproduisant, dans des dimensions similaires, un des chefs – d’oeuvre de Girodet du Salon de 1812, Le visage de la Vierge1. La correspondance de Paulinier avec Brongniart, conservée dans les archives de Sèvres, fournit de précieux détails sur la réalisation de la plaque. Dans une lettre adressée à Brongniart et datée du 6 juillet 1833, Paulinier écrit «J’ai en ce moment chez moi, Monsieur, la belle tête de Vierge que Girodet a exposé en 1812; j’avais l’intention de la copier sur une plaque que vous avez bien voulu me faire livrer (celle de 30 francs); cela ferait une grande réduction sur la grandeur; Mr Robert, qui vient de venir voir ce bel original, m’engage fort à le copier de la grandeur du modèle, c’est a dire sur une plaque de 22 pouces ½ de long sur 18 pouces ½ de large; je m’effraye beaucoup d’un ouvrage de cette dimension surtout après le malheur qui m’est arrivé; je le risquerais pourtant si cela doit me faire une bonne étude, cette tête étant d’une grande beauté et ayant l’avantage de n’avoir jamais été copiée et de ne l’être que par moi 2. S’il m’était possible d’obtenir de la manufacture une plaque de la dimension que je désire, et dont le prix ne fut pas par trop élevé, je vous en aurais, Monsieur, une grande obligation…». Une annotation manuscrite de Brongniart au bas de la lettre indique la mention suivante au 11 juillet 1833: «nous avons cette plaque de 22 sur 19 pouces au prix de 300 francs» (Sèvres-Cité de la Céramique, archives de la manufacture, Ob9). Dans une autre lettre du 15 octobre 1834, Paulinier fait part à Brongniart de l’évolution de son travail: «Permettez-moi, Monsieur, de vous remercier de tout l’intérêt que vous avez bien voulu apporter à la réussite de mon ouvrage, grâce à dieu, ce feu que je redoutais tant, s’est passé sans accident, son effet a même été tel que je n’osais l’espérer; il s’agit pour moi maintenant de bien terminer cette peinture qui m’a coûté plus de travail que je n’en avais mis à aucune; pour cela j’ai déjà commencé des essais nécessaires pour pouvoir remédier aux inconvénients que vous avez bien voulu m’indiquer, Monsieur…» (Sèvres-Cité de la Céramique, archives de la manufacture, Ob9). L’ouvrage de Paulinier est un tour de force technique, retranscrivant toutes les nuances et les transparences caractéristiques des huiles sur toile de Girodet. Oeuvre la plus importante de la carrière de Paulinier, cette plaque est également le seul témoignage de la peinture originale de Girodet, aujourd’hui perdue, que Quatremère de Quincy décrivait comme un chef – d’oeuvre et qui montrait l’influence de l’art de Raphaël sur l’oeuvre de Girodet3. Athénaïs Paulinier Athénaïs Paulinier, «peintre figuriste», fut active à la manufacture de Sèvres entre 1830 et 1835. Au contraire de son professeur, madame Jacquotot, elle ne collabora qu’occasionnellement avec Sèvres, répondant à des commandes précises, jouissant des ateliers et des modèles présents à la manufacture. Elle pouvait vendre l’ouvrage final via le magasin de vente de la manufacture comme à un client privé. Entre 1833 et 1836, l’artiste participa aux Salons de Paris et exposa des oeuvres d’après de grands maîtres espagnols tels que Murillo ou Velázquez. Après une longue interruption, elle exposa à nouveau aux Salons de 1864 et 1865 1 Explication des ouvrages de peinture, sculpture, architecture, gravure et lithographie des artistes vivants, exposés au musée Royal, le 1er mars 1835, Paris, 1835, p.162, n°1666: «Peinture sur porcelaine représentant une Tête de Vierge d’après Girodet, en même temps qu’une copie du portrait de la reine des Belges (Appartient à SM la reine des Français)» 2 L’information est contredite par Coupin, biographe de Girodet: «1812, Tête de Vierge avec les mains, peinte sur porcelaine par madame Jacquotot du vivant de Girodet» (Coupin, OEuvres posthumes de Girodet Trioson, Paris, 1829, t.I, p.LXVI). Paulinier ignorait ainsi l’existence d’une copie plus récente de l’oeuvre de Girodet par son professeur madame Jacquotot 3 Sylvain Bellenger, Girodet (1767 – 1824): l’album de l’exposition, Paris, 2005, p.19, note 34, ill.4. Estimation sur demande