37 L.A.S. et une lettre dictée, 1862-1909, à Flore Singer; 114 pages in-8 (petits défauts à quelques lettres). Très intéressante correspondance politique et littéraire à son amie la célèbre salonnière Flore Singer (1824-1915). Ollivier y évoque l’actualité, son propre passé ministériel, son oeuvre d’historien, ses lectures, son activité d’académicien, leurs contemporains, et ses deuils. Nous ne pouvons en donner ici qu’un rapide aperçu Gênes 4 novembre 1862. Plein de chagrin [son épouse, Blandine Liszt, était décédée le 12 septembre], il refait la route de son voyage de noces. «Tout autour de moi prenait une voix: là elle m’avait dit telle parole: […] nous avions eu telle discussion qui avait abaissé une barrière de plus entre nos âmes. À la Spezzia j’ai été obligé de m’arrêter un jour pour voir Garibaldi, la nuit, quand je me suis trouvé seul précisément dans l’appartement que nous avions occupé, j’ai cru que j’allais étouffer. […] J’ai mouillé cette route de toutes les larmes qui me restent»… Saint-Tropez 22 septembre 1864. Serein, il laisse soigner ses blessures par la nature: «j’ai ressenti plus qu’à Paris la solitude de mon coeur, mais j’y ai vite oublié les misères de ma vie politique et les défections de certains amis»… Il relit le cardinal de Retz… 26 mai 1871. De son exil, il se défend d’avoir voulu la guerre «imposée par Bismarck», et expose ses idées sur la forme à donner au gouvernement: «Il ne s’agit plus de liberté, ni de bien-être, il s’agit de guerre. Il faut arracher Strasbourg à la Prusse et aller imposer la paix à Berlin. Toute autre politique serait une politique de honte, d’abjection, de suicide. […] le meilleur gouvernement sera celui qui accordera le moins de liberté parlementaire, et opérera une concentration plus énergique du pouvoir. Vous voyez que je suis loin de la Commune et de la fédération. Quel sera ce dictateur ? Je ne le vois pas encore poindre. Le duc d’Aumale peut-être !»… Il développe son analyse, trouvant des analogies avec l’histoire romaine, et se demandant «si le Césarisme n’est pas la forme nécessaire des Démocraties dans notre monde»… Il sait que «la haine publique» s’attachera longtemps encore à lui… 6 juin 1871. Annonce de la naissance de son fils Jocelyn, «souvenir de notre cher et grand Lamartine», et allusion à une éventuelle fusion des partis légitimiste et orléaniste: «On regrettera plus d’une fois le despote !»… Pollone 21 janvier 1873. Réflexions sur la vie, l’humanité et la mort, «vraie souveraine du monde»… La mort de Napoléon III lui a causé «un chagrin intense, car je l’aimais profondément»; il prévoit que le parti bonapartiste reprendra ses attaques contre lui, mais il a «de quoi confondre toutes les attaques. Je n’ai rien à me reprocher, et j’ai été victime autant que la France»… Saint-Tropez 23 novembre 1879. Ayant été empêché par ses collègues à l’Académie de répondre au discours de réception d’Henri Martin, il a résolu de ne plus y mettre les pieds; il s’occupe d’un petit travail sur la liberté de la presse… Rome 1er janvier 1882. En deuil de son fils, il est foudroyé à tout moment par la pensée du petit, mais ils sont assez entourés: «Nous voyons souvent la Pcesse Wittgenstein, Liszt, une des filles de ma bellesoeur, la princesse Bonaparte et je mène de front les choses artistiques et les conversations théologiques avec les religieux ou avec les cardinaux»… 12 février 1882. Sur Gambetta: «Sa théorie sur la révision est d’une illégalité palpable. Les textes la condamneraient si le bon sens n’y suffisait pas. […] Gambetta est fanfaron et présomptueux plus qu’audacieux de même qu’il est rusé plus que fin. Et autant l’audace et la finesse servent autant nuisent la présomption et la ruse. Du reste sa chute sera très utile à la République»… Il commente aussi la Constitution («un expédient» à maintenir aussi longtemps que possible), «l’écroulement financier du clérico-légitimisme» (il regrette que le duc de Broglie soit mêlé à ce 16-Mai financier)… Il parle de sa vie à Rome: «Liszt parti pour la Russie, notre principale relation est la Princesse Wittgenstein»…. 4 mars 1882. Il ne désavoue nullement les souvenirs rappelés par l’article de Fouquier: «J’ai pardonné le coup d’État pour des raisons qu’en d’autres temps et lorsqu’on sera plus loin des événements, on jugera mieux qu’aujourd’hui. Mais le pardon suppose une faute ou crime et je ne relève rien de l’admiration que les Châtiments m’ont inspiré»… La Moutte 28 août 1883. Adolphe Franck a raison: «Il n’y a aucune incompatibilité nécessaire entre une république et le Concordat», mais le jacobinisme et le Concordat ne peuvent coexister: «le jacobinisme est une méthode et non une forme de gouvernement. Il y a des royalistes jacobins. Le jacobinisme est la méthode despotique appliquée à la politique. Je l’ai toujours combattu»… 5 janvier 1884. À propos d’Edmond About, candidat à l’Académie pour qui il voterait sans pensée intéressée: «je ne rêve pour moi aucune revanche, je considère ma vie publique comme terminée […]. Ensuite obliger quelqu’un n’a jamais été le moyen de s’assurer même sa justice»… 23 janvier 1884. Mise au point sur les échecs successifs des ambitions d’About, pendant le ministère d’Ollivier, et jugement sévère de ses remarques sur le plébiscite. Il rappelle en outre la dédicace de son livre Le Progrès à Napoléon III: «L’auteur du Progrès à l’auteur de tous les progrès». Mais il a plus de titres que Coppée pour être à l’Académie… 1er janvier 1885. Critique du discours de réception à l’Académie de François Coppée, «un poëte sans poésie et sans prose»; jugement sévère sur Musset, le premier des poètes modernes «parmi les poetæ minores»: «tout cela est mou, indécis, par moment fade et mal dessiné. Ce sont les inspirations d’un charmant jeune homme qui n’a jamais atteint l’âge viril»… 3 août 1886. Relation détaillée du «déploiement de fureur, de perfidie, de corruption, d’infamie» que le gouvernement vient de faire contre lui; la question n’est pas de savoir si la République durera, mais celle de l’organisation hiérarchique du suffrage universel, dont dépend un gouvernement libre. «Si nous échappons au sort de la Pologne, nous nous engloutirons dans un Césarisme quelconque»… à l’heure qu’il est, le suffrage universel, «confus, anarchique, donnant le dernier mot aux abjects et aux irresponsables, […] est incompatible avec l’existence d’une société quelconque»… La mort de Liszt l’attriste: «Je l’aimais et l’admirais. Encore un vide irréparable»… 3 janvier 1888, à propos du scandale Wilson: le népotisme et la concussion sont de tous les temps, et plutôt moins du leur que d’autres… Anecdote sur le duc de Broglie et d’Haussonville… La Moutte 15 mars 1888. Réflexions sur le système électif (peut-être le pire des régimes), et la crainte de la guerre (infondée). Bismarck sait qu’il n’aurait pas deux fois la bonne fortune d’avoir devant lui «pour général en chef un moribond, puis un homme à l’âme de boue, puis un bavard mystique»; le peuple est «satisfait de sa défaite et en extase devant ses vainqueurs»… 4 décembre 1889. «Mon livre [1789 et 1889] démontre que ce sont eux (les autres) qui ont changé et non moi et que je suis seul resté attaché aux principes de la Révolution qu’ils abandonnent honteusement pour satisfaire leurs cupidités»… 14 décembre 1889. Longue et belle défense de la politique, qui a ses gloires et ses misères comme toute activité humaine; explications sur l’évolution de son oeuvre d’écrivain, alors qu’il prépare son Empire libéral. «Kepler demandait à Dieu un lecteur en cent ans. Mon espérance, lorsque j’écris quelque chose, est que mon livre tombera dans une petite chambre de jeune homme tel que je l’étais à vingt ans, pauvre, solitaire, à l’âme ardente, éprise de lumière, et […] le fixera à quelque certitude salutaire, et surtout le préservera du poison mortel des phrases creuses et des sentiments faux, et de ce libéralisme pharisaïque contrefaçon répugnante de la liberté»… 28 décembre 1901. Il aspire à écrire son «testament spirituel»: plus il avance, plus il envisage ces problèmes «dans une pure sérénité de lumière, sans combat, sans révolte, et je m’endormirai je l’espère sans les gémissements par lesquels toute créature humaine commence la vie. Je n’éprouve pas le moindre désir de croire à l’absurde»… Ailleurs, il est question de Deschanel, Ludovic Halévy, Mac-Mahon, Meilhac, Mézières, Pailleron, le comte de Paris, Ratisbonne, Renan, Rochefort, Zola, etc. On joint des copies manuscrites de ses instructions pour ses funérailles, et de son testament; plus divers documents, dont une l.a.s. de Thérèse Ollivier à Flore Singer et des copies de lettres de Flore Singer