Paire de chenets en bronze doré à décor de chimères et tortues. Paris, vers 1720-1730. Poinçon au C couronné (1745-1749). Hauteur: 27 cm – Largeur: 21 cm – Profondeur (avec fers): 57 cm Caffieri (1678-1755), maître fondeur-ciseleur en 1715, qui travailla pour les Bâtiment du roi dès 1736 et livra des bronzes d’ameublement pour Versailles, Fontainebleau, Marly, Compiègne, etc., ainsi que pour les résidences de Madame Infante à Parme. Notre paire d’appliques évoque également un dessin anonyme2, exécuté vraisemblablement dans les années 1740-1750, sur lequel on retrouve le même motif du dragon qui surgit de l’enroulement formé par la volute marquant le départ des bras de lumière et, surtout, des détails très similaires de bobèches composées de feuilles d’aspect mouvementé avec des binets ornés de d’acanthe tournoyants (voir ill.). On voit ce modèle d’appliques sur un croquis exécuté par Gabriel de Saint-Aubin3 en marge d’une page du catalogue de la vente de Louis-Jean 2 New York, The Metropolitan Museum of Art, inv. 65.648. 10. 3 Emile Dacier, Catalogues des Vente et Livrets de Salons illustrés par Gabriel de Saint-Aubin, XI, Paris, 1921, p. 84. Gaignat (1697-1768) de 17694 (voir ill.), dans lequel, sous le numéro 190 sont décrites «Quatre paires de bras de cheminée, à deux branches; dans chaque bras est un dragon sur une des branches. Ces bras sont d’un beau modèle de bronze ciselé et doré». Hélas, malgré la ressemblance évidente entre le dessin de Saint-Aubin et nos appliques, l’absence de dimensions dans le catalogue Gaignat empêche leur identification précise, ainsi que celle des bras de lumière de la collection Wrightsman quasiment identiques. Cependant, l’originalité du modèle et leur grande qualité d’exécution les situent, les unes comme les autres, parmi les plus aboutis exemples de l’art rocaille encore conservés. 4 Lugt 1734, du 14 février. Surmonté par un dragon aux ailes déployées appuyé sur une tortue, représentés en ronde bosse, chaque chenet repose sur une importante base de forme chantournée, ornée en son centre d’un ample cartouche ovale entouré d’un motif de rocailles ondées et striées, qui prend appui sur des feuilles de refend et est sommé par un fleuron d’acanthe. La base est montée sur quatre pieds formant consoles à enroulement de volutes ornées sur le galbe de coquilles et de chutes d’acanthe. Les chenets ont conservé leurs fers d’origine. Motif de prédilection de l’art rocaille, le dragon constitue, en fait, le reflet de l’engouement pour la chinoiserie, qui alla en grandissant depuis l’époque de Louis XIV, pour connaître son apogée sous la Régence et pendant les premières années du règne de Louis XV. Dans le cas de notre paire de chenets, datant de la période de la Régence, le symbolisme des représentations extrême-orientales a cédé le pas à une allégorie des Éléments plus conforme à la tradition occidentale, en l’occurrence celle du feu, symbolisée par l’animal chimérique et celle de l’eau, personnifiée par la tortue sur laquelle il est appuyé. Cette composition, où le symbole de feu prend le dessus de celui de l’eau, demeure cohérente avec la fonction de l’objet, qui est celle d’être placé devant l’âtre pour protéger la cheminée. D’une très belle qualité d’exécution, les figures de dragons sur nos chenets ne sont pas sans évoquer le célèbre modèle de Charles Cressent, où ce même animal chimérique est associé à un lion1. Cependant, la composition reste assez éloignée de celle des chenets de Cressent, bien que, l’aspect général du socle ne trahisse le même esprit que celui d’une autre paire de chenets à la salamandre et au phénix, qu’Alexandre Pradère a également rapproché de la création de ce même artisan2. A l’évidence, Cressent n’est pas le seul à avoir employé ce motif pour ses bronzes d’ameublement. On le retrouve également sur un dessin du peintre et ornemaniste Alexis 1 A. Pradère, Charles Cressent sculpteur, ébéniste du Régent, Dijon, Eds. Faton, 2003, p. 206 et cat. 276, p. 307. 2 Vente, Paris, Me Couturier, 28 avril 1978, n°69, voir A. Pradère, ibid., p. 206 reproduit. Peyrotte (1699-1769) gravé par Huquier3, dont la composition qui associe un dragon à un motif de rocaille est à l’évidence celle d’un chenet (voir ill.). La présence du poinçon au C couronné sur notre paire de chenets prouve que, bien que d’exécution plus ancienne, elle était toujours sur le marché parisien entre 1745-1749. En effet, très originaux, les modèles de feux et de bras de lumière ornés de dragons, ainsi que les montures en bronze doré de vases précieux intégrant dans leur décor ces animaux fantastiques, restèrent en faveur parmi les marchands et les collectionneurs longtemps après le moment de leur création. Ainsi, en 1736, l’inventaire après décès de Noël Gérard4, l’un des grands ébénistes et marchands merciers parisiens du temps de la Régence, propriétaire du Magasin général, faisait état dans son stock d’un «petit feu» en cuivre doré «représentant des dragons», prisé 75 livres, d’un «autre feu […] de bronze doré en or moulu représentant des dragons», estimé 120 livres, enfin de «deux autres garnitures de feu dont une à dragons», qui valaient 80 livres. En 1756, sous le numéro 1020 du catalogue de la vente du duc de Tallard figurait un «feu orné de dragons fort bien composé». Dans la vente de Bonnemet, en 1771, est décrit sous le numéro 137 «un feu à dragon sur son pied en bronze ciselé et doré, monté sur ses fers, avec pelle, pincette et tenaille», alors que dans la vente de Blondel de Gagny en 1776, on retrouve au numéro 1032 «un feu composé de deux dragons ailés sur des médaillons avec des ornements de bronze doré». Ce dernier modèle semble se rapprocher le plus de notre paire de chenets avec sa base dont le centre renferme le grand cartouche ovale, certainement conçu pour recevoir les armoiries gravées de son propriétaire. 3 Paris, Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts, Bibliothèque, inv. Est 1217. 4 Arch. nat., Min. cent., CXXI, 306, du 17 août 1736.