335
Régulateur borne à complications et à jeux de flûtes en cajou, acajou flammé, bois satiné, bronze doré, cuivre, émaux polychromes.
Attribué à David ROENTGEN (1743-1812), Maître à Paris le 19 mai 1780.
Mécanisme par Michel-François PIOLAINE († 15 juillet 1810), Maître le 11 août 1787. Le cadran signé et la partie «horloger du roi» grattée.
Paris, vers 1790.
Hauteur : 170 cm – Largeur : 60 cm – Profondeur : 43 cm.
Régulateur borne en forme d’obélisque tronqué, sommé par une plate-forme entourée par une galerie en bronze et évasée vers la base, formant ceinture à un tiroir, le tout posé sur un bas d’armoire ouvrant par un vantail orné d’un médaillon ovale en façade et par deux vantaux sur les côtés, ceints par des montants cannelés, reposant sur des pieds en tronc de pyramide, entièrement plaqué en acajou et en acajou flammé, à cadran émaillé en blanc, avec les chiffres indiquant les heures, les minutes et les jours de la semaine peints en noir et les quantièmes en rouge, qui laisse découvrir le mécanisme. Entrées de serrure, appliques carrées à palmettes d’acanthe, frise d’oves, moulures et aiguilles en bronze doré.
Sans conteste, la conception de la caisse de ce régulateur s’inscrit stylistiquement dans la lignée des créations de l’ébéniste David ROENTGEN par la grande rigueur des volumes, par ses formes architecturées et par l’utilisation de bronzes dorés qui viennent magnifier la sobriété du placage en acajou flammé de la borne et de l’acajou du caisson qui dissimule le mécanisme à musique. On sait que ROENTGEN fabriqua des horloges monumentales à musique, dont plusieurs exemplaires d’aspect rectangulaire sont conservés, telle celle fabriquée en collaboration avec l’horloger Peter KINZING (1745-1816) et avec Johan Wilhelm WEIL (1756-1813), créateur du mécanisme musical, conservée par le musée J. Paul GETTY, ou trois autres du même modèle, l’une qui se trouvait avant la Seconde Guerre mondiale au palais royal de Berlin, aujourd’hui appartenant au musée des Arts décoratifs de cette ville, et deux autres au château Bruchsal, enfin, une dernière avec une caisse différente et sans mécanisme musical, appartenant à la collection David de COPENHAGUE. A l’instar de notre pièce, tous ces régulateurs finissent en leur partie supérieure par une terrasse, qui pouvait rester telle quelle, ou bien recevoir une sculpture, comme on le constate sur deux dessins réalisés dans l’entourage de l’atelier de ROENTGEN (fig. 1-2).
On remarque sur le projet attribué à Johannes Klinckerfuß, que l’horloge à gauche du dessin présente un cadran qui repose sur une gaine en obélisque tronqué. Par ailleurs, d’autres horloges de parquet, sans mécanisme musical, réalisées par ROENTGEN présentent des caisses en forme d’obélisque tronqué ou de borne, à l’instar de celle conservée au musée de Stuttgart, d’une seconde dont le mécanisme fut inventé par Benjamin Franklin, des collections du Metropolitan Museum de New York, ou d’une autre, dans le commerce de l’art (fig. 3-4). Enfin, sur une pendule à musique attribuée à ROENTGEN, provenant de l’ancienne collection Robert de BALKANY, le corps de l’horloge est réuni au bas d’armoire qui le supporte par deux plaques concaves dont la découpe n’est pas sans évoquer la forme de notre régulateur (fig. 5).
Le mécanisme à complications de notre régulateur, qui porte sur le cadran la signature de Piolaine, indique l’heure et les minutes par deux aiguilles en bronze doré, dont la petite est décorée d’une couronne de laurier, alors que les quantièmes sont désignés par trois aiguilles en fer noirci. On retrouve un mouvement et un cadran à jour presque similaires sur une pendule lyre aussi de PIOLAINE, d’époque Louis XVI, exécutée vers 1787-1788 et dont les aiguilles sont fleurdelisées (fig. 6). Le fait que la fleur de lys ait été remplacée dans le cas de notre horloge par une couronne de laurier, tend à indiquer une réalisation plus tardive pour cette dernière, datant des premières années de la Révolution. Alors qu’une autre pendule d’applique, datant des années 1785-1790, dont la caisse est attribuée à David ROENTGEN, présente un mécanisme musical à jeu de flûte signé par Peter SCHMITT à Mainz d’une construction très proche de celui de notre régulateur (fig. 7-8).
La signature de PIOLAINE sur notre régulateur indique que celui-ci fût réalisé vraisemblablement dans l’atelier parisien de David ROENTGEN. On sait, grâce à l’étude de Christian BAULEZ que l’ébéniste allemand ouvrit des magasins à Paris, où il voyagea en 1774, puis en 1779, à Berlin et à Vienne, collabora avec le bronzier François REMOND, travailla pour Louis XVI, la famille royale et la cour de Versailles, et devint l’un de principaux pourvoyeurs de Catherine II de Russie pour laquelle il livra dès 1783 une importante quantité de meubles. Il coordonna l’activité de son atelier pendant ses absences, dont les ouvriers assuraient les commandes pour ses magasins en Allemagne, en Autriche, en France et en Russie. Ce commerce prospère connut des revers à la Révolution, lorsque ses biens furent saisis à Paris et David ROENTGEN se vit obligé de rentrer à Neuwied, où son atelier fut à nouveau pillé par les armées révolutionnaires, en 1794. Réfugié à Gotha, puis à Berlin, il ne revint à Neuwied qu’en 1802. Le grand succès de ses meubles lui attira des imitateurs, tels Johann Gottlob FIEDLER (v.1735-ap.1818) à Berlin, ou Gottlieb HOLZHAUER (1753-1794), qui travailla pour la duchesse Anne-Amélie de Brunswick, à Weimar. D’autres meubles furent réalisés d’une façon très ressemblante par des ébénistes formés dans les ateliers de ROENTGEN, tels Johann Gottlieb FROST (1851-1814), qui s’installa à Paris dès 1779, ou bien Johannes Kilnckerfuß, qui exerça à Stuttgart, à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe, etc.
Michel-François PIOLAINE semble originaire de Dieppe, car son frère Joseph-Félix exerçait toujours en 1810 la profession de marchand horloger dans cette ville. On ignore aussi bien la date de naissance de Michel-François, que les noms de ses parents ou celui de son Maître de métier, auprès duquel il avait appris la profession d’horloger. Il épousa le 21 janvier 1785 Catherine-Colombe BAUCHE, ce qui laisse supposer qu’il s’était installé à Paris avant cette date, et obtint la maîtrise le 11 août 1787. De cette union naquirent cinq enfants, dont l’aîné, Pierre PIOLAINE était majeur et ouvrier horloger chez son père, au moment du décès de ce dernier, survenu le 15 juillet 1810. Un inventaire après le décès de Michel-François PIOLAINE fut commencé le 5 septembre 1810.
L’acte nous permet de tracer ses demeures dans Paris : après avoir logé rue du Grenier-Saint-Lazare, n°665, il s’installa dans une maison rue de Gravilliers, n°65, dont il devint propriétaire le 23 Fructidor an III (9 septembre 1795), et où il finit ses jours. On apprend également qu’il avait acheté une maison à Dieppe, le 16 décembre 1794, puis une autre à Neuilly, le 28 avril 1798 et une ferme à Ermenonville-la-Grande, le 28 octobre de la même année, enfin une maison à Versailles, sise au 42, rue de la Pompe, le 24 septembre 1803, etc. La prisée de ses marchandises effectuée par Dieudonné KINABLE (1764-1832), horloger d’origine liégeoise établi au Palais Royal, révèle un stock très important, qui fait penser plutôt à celui d’un marchand horloger que d’un fabricant, comportant cent pièces dont les modèles sont souvent décrits avec les noms de leurs créateurs. Parmi celles-ci on remarque une pendule pièce acajou évaluée à 80 francs et une autre pendule jeu de flûte représentant Hymen, certainement en bronze, estimée 380 francs, et surtout une pendule à secondes dans sa boëte d’acajou du nom de Piolaine à Paris, prisée 240 francs. Cinquante-sept modèles de boîtes non dorées et sans mouvement, des girandoles et des boîtes, ainsi que soixante-treize mouvements finis et soixante-sept mouvements en blanc, évalués plus de 3 900 francs, furent également décrits dans sa boutique et dans son atelier qui comportait quatre établis et pléthore d’ustensiles. Hélas, l’inventaire de PIOLAINE n’offre aucun renseignement concernant sa collaboration avec David ROENTGEN, qui avait quitté Paris pendant la tourmente révolutionnaire et était décédé en 1807, car vraisemblablement les créances entre les deux hommes étaient éteintes déjà depuis un long moment. Cependant, hormis des artisans français, tels KINABLE au Palais Royal, LABORIE, rue Saint-Honoré, ou PIOLAINE à Dieppe, notre artisan entretenait toujours des relations commerciales à l’étranger, comme par exemple avec un certain M. FLOREANO à Mayence, M. SENERMANN à Francfort, M. CLAASEN et la veuve KULLDRE à Amsterdam, etc.