Commode à vantaux
Attribuée à l’atelier de David Roentgen à Neuwied ou à son entourage.
Fin du XVIIIe siècle.
Bois résineux, acajou, placage d’acajou, buis, ébène, bronze doré, cuivre
Hauteur : 89 cm – Largeur : 150 cm – Profondeur : 60 cm
40 000 / 60 000 e
Bibliographie :
Hans Huth, Roentgen Furniture, Abraham and David Roentgen, European Cabinet Makers, Londres, 1974.
Rosemarie Stratmann-Döhler, Mechaniche Wunder Edles Holz. Roentgen-Möbel des 18. Jahrhunderts in Baden und Württemberg, Karlsruhe, 1998.
Christian Baulez, David Roentgen et François Rémond. Une collaboration majeure dans l’histoire du mobilier européen, L’Estampille/L’Objet d’Art n°305, septembre 1996.
Achim Stiegel, Präzision und Hingabe.Möbrlkunst von Abraham und David Roentgen, Berlin, 2007.
Michael Stümer, Luxus, Leistung und die Libe zu Gott. David Roentgen 1743-1807 Königlicher Kabinettmacher, Munich, 1993.
Antoine Chenevière, Splendeurs du mobilier russe 1780-1840, Paris, 1989.
D’aspect architecturé, cette commode ouvre en façade par deux vantaux délimités par deux pilastres soulignés soit par doubles rangs de trois cannelures en cuivre et par un dormant orné d’une chute d’acanthes en bronze doré. Ils sont décorés d’un arc surbaissé, cintré par une clé à triglyphes et larmier en bronze doré, et reposant sur deux petits pilastres adossés dont les chapiteaux sont également en bronze doré, ainsi que les écoinçons à feuilles d’acanthe, disposés aux angles supérieurs des vantaux. Les montants du meuble, en pans coupés et formant une console en volute découpée jour en leur partie supérieure, sont ornés sur celle-ci de masques de lions portant un anneau dans la gueule, et en-dessous, sur la partie suggérant une gaine concave, d’une chute de fleurons d’acanthe accrochée par des rubans à une patère, le tout en bronze doré. Sur les côtés, des panneaux rectangulaires creux sont flanqués par deux pilastres cannelés du modèle de ceux des vantaux, tous appuyés sur des soubassements moulurés et à ressauts, formant les cinq pieds du meuble réunis par de petites ceintures munies d’écoinçons en leurs extrémités. Chaque pied est orné de rectangles brettés en bronze doré. Le plateau plaqué en acajou est souligné par un jeu de filets marquetés en buis et en ébène et est ceint par une lingotière en quart-de-rond de cuivre doré. Les vantaux laissent découvrir deux groupes chacun de trois tiroirs superposés, munis de poignées en cuivre.
Par certaines de ses particularités de construction, par ses bronzes et par les matériaux mis en œuvre cette commode à vantaux s’apparente aux créations issues de l’atelier de David Roentgen, à Neuwied, vers la fin du XVIIIe siècle.
Il s’agit notamment de la composition de ses montants, caractérisée par la partie supérieure formant une console en volute, sorte de poste en ressaut, découpée à jour (fig. a), qui se retrouve, ainsi que les protomés de lion et les chutes de bronze doré, sur deux meubles iconiques de Roentgen : le grand secrétaire en scriban à pendule, commandé le 27 août 1776 par Charles de Lorraine, gouverneur des Pays-Bas autrichiens (fig. b) et son pendant, appelé le Neuwieder Kabinett, secrétaire monumental que Roentgen et son atelier fabriquèrent entre 1777 et 1779 pour Frédéric-Guillaume II de Bavière (fig. c). Mentionnons également que dans la construction des bâtis des deux imposants secrétaires de Vienne et de Berlin le chêne est associé au bois résineux, cette dernière essence étant utilisée aussi pour le bâti de notre commode.
D’un aspect moins exubérant que les deux secrétaires, notre commode conserve cependant la composition architecturée caractéristique pour les meubles élaborés par Roentgen ou fabriqués sous sa conduite dans l’atelier de Neuwied ou par ses émules. Certains décors, tels les montants séquencés de triples cannelures disposées en deux registres sont quasi-identiques sur deux commodes formant secrétaire en cylindre, l’une conservée au musée de Berlin et l’autre au château de la Fasanerie. Alors qu’on retrouve des éléments similaires sur des meubles plus simples en acajou issus de l’atelier de Roentgen, comme sur un bureau à caissons, qui présente les mêmes petites ceintures découpées à consoles en écoinçons que celles de notre commode, ou bien sur un autre bureau plat dont le frise du cartonnier est rythmée par des triglyphes en bronze, les deux faisant partie de l’ameublement du château de Weissenstein (Wilhelmshöhe), près de Cassel .
Fils du célèbre ébéniste Abraham Roentgen, David succéda à son père en 1772 et développa l’atelier familial parvenant à le transformer dans une vraie entreprise, qui employait à la fin du XVIIIe siècle plus de cent ouvriers. Avec un sens particulier du commerce il ouvrit des magasins à Paris, où il voyagea en 1774, puis en 1779, à Berlin et à Vienne et devint l’un de principaux pourvoyeurs de Catherine II de Russie pour laquelle il livra dès 1783 une importante quantité de meubles, comme le témoignait l’impératrice elle-même dans une lettre adressé à Grimm : David Roentgen et ses deux cent caisses sont arrivés sains et saufs, à point pour apaiser ma fringale… Il coordonna l’activité de son atelier pendant ses absences, dont les ouvriers assuraient les commandes pour ses magasins en Allemagne, en Autriche, en France et en Russie. Ce commerce prospère connut des revers à la Révolution, lorsque ses biens furent saisis à Paris et David Roentgen se vit obligé de rentrer à Neuwied, où son atelier fut à nouveau pillé par les armées révolutionnaires, en 1794. Réfugié à Gotha, puis à Berlin, il ne revint à Neuwied qu’en 1802. Le grand succès de ses meubles lui attira des imitateurs, tels Johann Gottlob Fiedler (v.1735-ap.1818) à Berlin, ou Gottlieb Holzhauer (1753-1794), qui travailla pour la duchesse Anne-Amélie de Brunswick, à Weimar, et dont une commode présente un décor de filets en bois clair et foncé similaire à celui du plateau de notre pièce. D’autres meubles furent réalisés d’une façon très ressemblante par des ébénistes formés dans les ateliers de Roentgen, tels Johann Gottlieb Frost (1851-1814), qui s’installa à Paris dès 1779, ou bien Johannes Kilnckerfuß, qui exerça à Stuttgart, à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe, enfin, Henri-Daniel Gambs, originaire lui aussi de Neuwied et qui s’installa à Saint-Pétersbourg dès 1795, où il produisit pour la cour impériale jusqu’à son décès, en 1831.